La dynamique actuelle du marché du travail provoque des spasmes chez les recruteurs. C’est avant tout le sourcing qui pose un problème, tant les candidats se font rares et tant leurs comportements semblent évoluer vers une sélectivité nouvelle.

Pour faire face à ce problème, les techniques traditionnelles semblent perdre leur efficacité. Les offres d’emploi augmentent en volume, mais leur « rentabilité » baisse.

 

C’est pourquoi les entreprises sont à la recherche de nouvelles solutions.

 

La plus connue est la chasse dans les CVthèques ou sur les réseaux sociaux. Mais cette deuxième source semble elle aussi finir par s’épuiser. La complexité des recherches conduit à sur-solliciter les mêmes profils et à rater des individus moins évidents mais tout aussi talentueux. Ces pratiques de chasse ont aussi un effet pervers : elles éduquent les candidats à attendre d’être sollicités, leur font adopter une posture passive et semblent accroître leurs exigences envers les employeurs. Bref, on nourrit le mercenariat.

La cooptation semble être une approche complémentaire pertinente. Son principe est connu : un réseau de coopteurs se charge de proposer des candidatures en échange de récompenses variables, selon que les profils trouvés par ce moyen sont présélectionnés, sélectionnés ou embauchés.

Quand ces relais sont extérieurs à l’entreprise, pas de problème. Mais quelques études montrent que des effets pervers apparaissent très vite lorsque les coopteurs sont internes à l’entreprise.

Le premier effet observé est un mécanisme de dette réciproque : le coopté doit au coopteur son emploi, tandis que le coopteur doit au coopté la prime qu’il a perçue. Un biais « n’oublie pas ce que tu me dois » s’interfère dans les relations de travail normales et risque d’installer des comportements déviants.

D’autres études ont montré le risque d’apparition de clans invisibles. Certains individus se suivent en se cooptant d’entreprise en entreprise, reconstituant ainsi des connexions souterraines souvent difficiles à repérer et à comprendre. Il ne s’agit pas d’y voir des opérations commandos destinées à faire main basse sur le fonctionnement de l’entreprise. Mais le risque est fort que des pratiques extérieures peu souhaitables soient ainsi importées et pérennisées.

Parfois, tout simplement, ces groupes créent des réseaux affinitaires qui se superposent aux canaux de communication souhaités par l’organisation. Cas extrême : l’habitude, chez certains grands dirigeants, d’aller et venir d’entreprise en entreprise en emportant avec eux leur DAF ou leur DRH, pour finalement reconstituer le même comité de direction un peu partout. Cet effet clanique permet la confiance entre des individus qui se connaissent depuis longtemps, mais il crée de la défiance chez les équipes rejointes, surtout si des anciens qui n’ont pas démérité doivent laisser la place à des nouveaux, arrivés par ce processus. Il peut, en outre, créer une bulle étanche entre ces dirigeants et le reste de l’entreprise.

On rétorquera que le sourcing n’est pas le recrutement : la phase d’évaluation a pour objectif de filtrer et de repérer les dysfonctionnements possibles. Or cette logique, qui alterne séduction puis sélection, est un des points durs à revoir. Les candidats ne veulent plus vivre ces ascenseurs émotionnels qui leur donnent le sentiment d’être des talents rares, puis des coureurs de marathon et, enfin, des « plans B » bourrés de défauts.

En somme, le sourcing par cooptation fait partie de ces pratiques efficaces – sous réserve de recul, de discernement et de maturité.

Est-ce bien le cas dans la crise des talents que nous connaissons ? Car « à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on en finit par oublier l’urgence de l’essentiel », déclare Edgar Morin.

 

Chroniques | publié le : 13.01.2023 | Jean Pralong, Thomas Chardin