Salaire, égalité hommes-femmes... Depuis le 1er mai, il est plus difficile de négocier un accord d'entreprise. Il s'agit d'une règle "technique" qui pourrait avoir un impact important sur la vie des salariés...

Depuis un an et demi, les accords portant sur la durée du travail, les repos et les congés, ont déjà dû, pour voir le jour, faire l'objet d'un paraphe par des syndicats représentatifs ayant obtenu au moins 50% des voix aux dernières élections professionnelles.

Ce 1er mai 2018, la règle s'est généralisée à tous les sujets dont on discute dans l'entreprise: rémunération, égalité homme-femme, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, prévoyance... La loi Travail avait prévu septembre 2019 pour la bascule, mais les ordonnances Macron ont avancé la date. 

"Donner plus de légitimité aux accords, jusqu'ici valides lorsqu'ils étaient signés par des syndicats représentants seulement 30% des suffrages". La ministre du Travail Myriam El Khomri, qui portait la loi Travail en 2016, n'avait cessé de martelé cet argument, pour justifier de passer à la règle de la majorité.  

L'intention est louable, mais en pratique le nombre d'accord signés ne risque-t-il pas de baisser ? Impossible de tirer de conclusions des dix-huit mois passés, pendant lesquels l'accord majoritaire était déjà en vigueur partiellement : les entreprises ne se sont pas précipité pour revoir leurs accords temps de travail, sujet au combien délicat, car il s'imbrique avec celui des rémunérations.  

Ces dernières devaient en outre digérer le contenu de toutes les réformes sociales qui se sont succédé dernièrement (lois Rebsamen, El Khomri, ordonnances Macron).  

La cartographie syndicale aura son importance

Pour l'avenir, plusieurs scénarios sont envisageables, selon la "cartographie syndicale" de l'entreprise. Dans celles où une seule organisation majoritaire avait l'habitude de signer des accords, ou là où des alliances se nouaient fréquemment, l'obligation de majorité ne changera pas grand chose. 

En cas de morcellement syndical, en revanche, l'effet du passage à la règle majoritaire ne sera pas neutre. "Des organisations jusqu'ici en retrait, se contentant de laisser les autres signer car cela suffisait pour atteindre les 30%, vont devoir se mouiller davantage, affirme Bruno Serizay, avocat associé chez Capstan. D'autres pourraient aussi monnayer très cher leur signature." Bref, des changements de comportement pourraient survenir. 

Michèle Rescourio-Gilabert, DRH d'Etablissement français du sang et ancienne consultante pour le réseau Entreprise & Personnel, n'affiche pas une grande sérénité. "S'il faut répondre aux exigences diverses de plusieurs syndicats pour emporter leur signature, l'employeur sera contraint à de nombreux compromis pouvant faire perdre son sens global à l'accord", estime-t-elle.  

A la CGT, sans surprise, on voit les choses de façon plus positive : "L'employeur devra se montrer plus à l'écoute des propositions syndicales", se réjouit Fabrice Angéi. Le secrétaire confédéral y voit aussi un autre effet salvateur : plus de "mauvais" accords signés par des "syndicats-maison" à la botte du patron, obtenant des contreparties "intéressées" (évolutions de carrière...) en échange de leur sceau.  

Le référendum comme issue

En l'absence de majorité, une porte de sortie est prévue : l'organisation - à l'initiative du (ou des) syndicat(s) représentant aux moins 30% des voix ou bien de l'employeur - d'une consultation des salariés par référendum. Mais, malgré ce que laissent croire quelques cas médiatisés (Smart en précurseur, RTE, Haribo, Air France*...), la pratique risque d'être limitée, car les inconvénients ne sont pas minces. Les syndicats n'ont pas forcément envie de prendre le risque d'être désavoués. Quant aux DRH, ils sont conscients des limites de la consultation. "Alors qu'on essaie de construire un collectif de travail, un référendum peut monter des populations aux intérêts différents les unes contre les autres, par exemple les cadres contre les ouvriers, fait remarquer Michèle Rescourio-Gilabert. Et puis, comment résumer l'enjeu de toute une négociation en si peu de mots ?"  

C'est peut-être dans les petites entreprises que l'appel au vote pourrait se développer le plus. Pour les structures de moins de vingt salariés sans comité social et économiques (le CSE, issu de la fusion des instances représentatives du personnel), les ordonnances Macron ont en effet prévu que l'employeur puisse ficeler un document unilatéral, avant de le faire valider par ses équipes. Si une telle option a été mise sur pied, c'est que les TPE et PME françaises se caractérisent pas un désert syndical. Et sans partenaires sociaux, pas de négociation...  

Marianne Rey